GUERRE FRANCO-ALLEMANDE DE 1870-1871

GUERRE FRANCO-ALLEMANDE DE 1870-1871

ARMÉE PRUSSIENNES


L’ARMÉE PRUSSIENNE 1870

La bataille de Kœnigsgrætz a eu pour l’Europe, pour l’équilibre des divers états, les conséquences les plus graves. Les accroissemens de territoire soudainement obtenus par la Prusse au centre de l’Europe, grâce à la supériorité de son armement, grâce à l’habile emploi des forces de la nation, grâce à une volonté qui écartait tous les scrupules de la conscience et du droit des gens, ont effrayé les états voisins. Les peuples ont dû se prêter à un nouveau déploiement de leurs ressources militaires, précaution à la fois indispensable pour leur sécurité présente et fatale pour leur prospérité à venir. Il devient donc nécessaire d’étudier de près l’organisation des troupes prussiennes, si l’on veut saisir les causes de malaise qui affectent les relations internationales, et se rendre compte des perfectionnemens à introduire dans les institutions de son pays.

 

Bien des personnes ont voulu voir dans l’armée victorieuse à Kœnigsgrætz le type du peuple en armes. C’est là une grave erreur ou du moins un anachronisme. Le système poursuivi par M. de Bismarck et son souverain, système admirablement mis en œuvre par les généraux de 1866, ne répond pas à cette idée. Une armée qui eût fait corps avec la nation n’eût pas été un instrument convenable pour les audacieuses pensées de celui qui avait déclaré vouloir la grandeur de son pays, par le fer et le sang. La nation, mal disposée pour ceux qui avaient pris en main ses affaires avec un si imperturbable dédain des résistances, eût répudié ou mal servi une politique décidée et mûrie en dehors de son initiative. Sans doute les Prussiens en immense majorité souhaitaient la grandeur de leur patrie, mais avec des scrupules de conscience qui pouvaient ajourner longtemps encore l’explosion des hostilités entre les divers groupes de l’Allemagne. Leur énergie n’eût pas suffi au succès d’une grande entreprise belliqueuse, s’ils n’avaient pas été enfermés avec une habileté consommée dans le réseau de fortes institutions militaires.

 

L’armée prussienne a eu l’heureuse fortune de se former sous l’inspiration d’un grand mouvement d’enthousiasme patriotique qui a fait accepter plus aisément les inconvéniens et les charges du système. Le principe du service militaire obligatoire est écrit dans la loi du 3 septembre 1814. La landwehr a été réorganisée par l’ordonnance du 21 novembre 1815. En vertu de cette législation, tout Prussien capable de porter les armes fut tenu de servir de 20 à 23 ans dans l’armée active, de 23 à 25 ans dans la réserve, de 25 à 32 ans dans le premier ban de la landwehr, et de 32 à 39 ans dans le second. La landsturm ou levée en masse comprit tous les individus de 17 à 49 ans capables de porter les armes qui ne se trouvaient pas incorporés dans l’année active ou dans la landwehr. On forma immédiatement 36 régimens d’infanterie et 34 de cavalerie avec les hommes qui étaient dans les conditions requises pour entrer dans la landwehr, et les forces de la Prusse se trouvèrent désormais composées de la manière suivante :

 

1° L’armée active, comptant en temps de paix 140,000 hommes, en temps de guerre, par suite de l’appel des réserves, 220,000 hommes environ ;

2° Le premier ban de la landwehr, infanterie et cavalerie, qui ne comprend en temps de paix que le personnel des cadres, environ 3,000 hommes, et qui se trouvait porté en temps de guerre à 150,000 hommes ;

3° Le second ban de la landwehr, donnant un chiffre de 110,000 hommes.

En ajoutant à ces chiffres celui de 50,000 hommes susceptibles d’être recrutés par anticipation, on arrivait à pouvoir mettre sur pied 530,000 hommes, dont 340,000 formant l’armée d’opérations, et le reste composant les dépôts ou gardant les places fortes.. On n’avait à entretenir en temps de paix que le quart à peu près de cet effectif.

 

Un fait vraiment curieux à constater, c’est que la Prusse de nos jours, active, travailleuse, appliquée, regarde avec une sorte de vénération ce système rigoureux, imaginé par les hommes de 1813 ; elle y est profondément attachée. L’instinct de la grandeur nationale domine chez elle tous les autres sentimens. Cependant de 1815 à 1848 une paix prolongée et par suite les adoucissemens apportés dans la pratique à un système qui ne paraissait plus indispensable à la sauvegarde de l’indépendance nationale avaient singulièrement amorti l’enthousiasme des premiers jours. La landwehr tendait à devenir une milice civile de moins en moins susceptible de s’astreindre à la discipliné et à la passive obéissance qu’on exige d’une force armée. Les ardeurs du sentiment germanique se traduisaient presque uniquement par des manifestations dans la vie civile, et l’esprit militaire était visiblement en déclin. En 1848, le gouvernement prussien, tout d’un coup aux prises avec de graves embarras intérieurs et extérieurs, comprit qu’il ne pouvait y faire face avec les soldats de son armée active : il mobilisa la landwehr. Il n’eut pas à se féliciter du résultat de cette mesure. Les hommes arrachés à leurs foyers se prêtaient à contre-cœur au service actif qu’on exigeait d’eux. Ils n’avaient pas de liens avec les autres troupes du corps d’armée auquel on les incorporait. Il fallut verser dans leurs bataillons un assez grand nombre d’officiers de la ligne dont on ne tarda pas à regretter l’absence au milieu des hommes qu’ils étaient appelés à commander. Malgré les efforts partiels tentés pour atténuer les inconvéniens d’un pareil état de choses, lorsqu’on voulut mobiliser l’armée en 1859, les hommes compétens conservaient de sérieuses inquiétudes sur la solidité des troupes prussiennes dans l’hypothèse d’une longue guerre. Le prince-régent, devenu roi peu de temps après, le 2 janvier 1861, introduisit les réformes que l’on appelle la réorganisation de 1860. Décidé à faire de son armée le principal appui de son trône, le roi Guillaume voulut, en cas de mise sur le pied de guerre, pouvoir composer ses effectifs de troupes ayant déjà passé par l’école de l’armée de ligne. Jusqu’en 1860, les hommes du contingent accomplissaient rarement les trois années de service que la loi leur imposait. Beaucoup d’entre eux demeuraient toujours dans leurs foyers, et en 1850 la proportion de l’armée relativement au chiffre de la population était tombée à 0,79 pour 100. À partir de 1860, on revient à l’ancienne proportion de 1 pour 100. Le contingent annuel est élevé de 40,000 à 63,000 hommes, et désormais, par une série d’ingénieuses combinaisons, on réussit à incorporer dans l’armée active, ne fût-ce que pour un temps, la grande majorité des jeunes gens de dix-huit ans en état de porter les armes. Jusque-là, sous le régime de la loi du 3 septembre 1814, les hommes enrôlés devaient à l’état cinq années de service, dont trois de présence effective sous les drapeaux et deux de réserve. Désormais le service dans la réserve fut porté à quatre années.

 

Cette prolongation des obligations actives du service militaire d’une part, de l’autre l’appel annuel d’un contingent plus considérable ont été sans doute des charges lourdes, mais le pays a pu y trouver une compensation dans une plus grande sécurité. Sous le régime antérieur, on ne pouvait mettre sur le pied de guerre l’armée destinée à entrer en campagne qu’en la composant en grande partie d’hommes de la landwehr. C’était là le peuple en armes, et tous ceux qui ont écrit sur ces matières n’ont pas manqué de faire observer quelles perturbations profondes on apportait dans la société qu’on privait subitement de tant de membres utiles. En outre l’expérience avait démontré quels inconvéniens il y avait, pour l’entrée en campagne, à composer une armée en majeure partie d’hommes de la landwehr. Les auteurs du système de 1860 se proposèrent de former, avec le moins de dépenses possibles pour le trésor public, une armée active susceptible d’être promptement mobilisée. On doit reconnaître qu’ils y ont réussi. En effet, en 1820, un soldat coûtait par an 211 thalers (790 francs), en 1859 214 thalers (802 francs), de 1869 196 thalers (735 francs). L’armée nouvelle était prête à combattre aussitôt après l’adjonction : 1° des hommes de la réserve, donnant, à raison de quatre classes, un effectif de 214,000 hommes ; 2° d’une moitié du contingent annuel recruté par anticipation ; 3° d’un petit nombre seulement des hommes les plus jeunes du premier ban de la landwehr.

 

Malgré les efforts que fit le gouvernement pour convaincre les chambres des avantages de cette réorganisation, la loi qui devait la consacrer ne fut pas votée ; néanmoins un ordre de cabinet du mois de juillet 1860 doubla presque les cadres de l’armée en créant 32 nouveaux régimens d’infanterie et 10 de cavalerie. Les deux plus jeunes contingens de la landwehr furent subitement incorporés dans la réserve de l’armée active. On ne laissait aux chambres que le droit de sanctionner par la suite les dépenses faites pour réaliser ces transformations, et on les accusait vis-à-vis du pays de méconnaître la grande pensée qui les avait inspirées.

 

L’armée active de 1850 avait compté 145 bataillons, 152 escadrons, au total 127,500 hommes, et elle coûtait annuellement 102 millions de francs. L’armée renforcée de 1860 compta 254 bataillons, 192 escadrons, 212,600 hommes, et elle coûta 122,391,000 fr. L’essai qu’on en fit dans la guerre du Danemark démontra au roi que la nouvelle organisation répondait tout à fait aux nécessités de sa politique. Elle se termina sans qu’il fût besoin de faire appel à la landwehr, ni même de mobiliser tous les corps d’armée. La rapidité avec laquelle l’armée prussienne se trouva en Bohême prête à combattre décida du sort de la campagne de 1866. À partir de cette époque, les bases du nouveau système, consacrées par l’expérience, étaient désormais acceptées par l’opinion publique. Au lendemain de Kœnigsgrætz, le gouvernement obtint à la fois un bill d’indemnité pour sa conduite extra-parlementaire avant la guerre et tous les moyens nécessaires pour étendre et perfectionner des institutions qui lui avaient valu des succès si foudroyans et si complets. Usant habilement du prestige de sa situation, il s’empara de toutes les ressources militaires des pays qui rentraient sous son influence. Par le vote du budget de la guerre pour cinq ans, par une admirable organisation défensive et offensive inscrite dans les lois organiques de la nouvelle confédération du nord, il s’est mis en mesure de défier les refus de crédit, les votes de budget, et de confondre tous les efforts que le parlement pourrait tenter par la suite pour diminuer les charges auxquelles le peuple allemand s’est si facilement résigné.

 

La confédération de l’Allemagne du nord compte 30 millions d’habitans. L’effectif de son armée sur le pied de paix peut atteindre 319,000 hommes. Ces forces, mises à la disposition du roi de Prusse, se décomposent en treize corps : un corps d’élite, la garde, et douze autres corps, qui représentent autant d’unités distinctes et indivisibles, dans chacune desquelles sont répartis d’une façon permanente les élémens dont l’ensemble est nécessaire pour constituer un corps d’armée. — Chacun d’eux a une circonscription territoriale particulière, déterminée et invariable. Cette organisation, qui consiste à placer les régimens en garnison tout à portée des centres où ils se recrutent, ne permet pas seulement de faire des économies considérables sur les dépenses de mouvemens de troupes, elle a toute sorte d’avantages pour les populations, qui sont bien aises d’avoir près d’elles des troupes composées d’hommes du pays, et elle a grandement facilité la fusion complète des élémens anciens et des élémens nouveaux de l’armée prussienne. Enfin elle offre le moyen de former rapidement en temps de paix les divers corps de l’armée fédérale [1]. Le roi Guillaume et M. de Bismarck ne se bornèrent pas à tirer tout le parti possible des avantages inhérens au système de 1860 : ils surent en obtenir de nouveaux et de bien plus importons par la fermeté qu’ils déployèrent après la paix de Nikolsbourg dans les débats du parlement de l’Allemagne du nord, ainsi que dans leurs négociations avec les états au sud et au nord du Mein.

 

Un article de la constitution votée par le parlement de l’Allemagne du nord a réservé au roi de Prusse, qui est le généralissime de la confédération, le droit de décider à lui seul la quotité annuelle du contingent appelé sous les drapeaux. L’article 60 de la constitution a fixé, jusqu’au 31 décembre 1871, à 1 pour 100 de la population de l’Allemagne du nord la force effective de l’armée fédérale sur le pied de paix, et l’article 62, tranchant une fois pour toutes la question financière, statue que jusqu’à la même époque une somme ronde de 225 thalers (843 francs) par tête de soldat est allouée au généralissime pour l’entretien de l’armée et de ses établissemens. L’emploi de cette somme est soustrait à tout contrôle au sein du parlement, et, ainsi que le dit l’article 71, elle ne figure que pour ordre dans le budget des dépenses soumis chaque année au Reichstag. Elle est fournie par les recettes des douanes, des impôts communs de consommation, des postes et des télégraphes, et complétée dans la mesure nécessaire par les cotisations matriculaires de chaque état, cotisations proportionnées au chiffre des habitans.

 

Les bases de la législation militaire une fois fixées par la constitution fédérale, le gouvernement prussien s’est appliqué à régler avec ses confédérés un grand nombre de points de détail. Ces conventions peuvent être considérées comme autant d’annexés à la lot organique sur le service militaire, substituée en novembre 1867 à la loi du 3 septembre 1814. L’article 66 de la constitution avait laissé aux princes confédérés, de même qu’aux sénats des villes anséatiques, la qualité de chef des troupes fournies par eux à l’armée fédérale, et en même temps tons les droits inhérens à cette qualité. Toutefois ces droits étaient limités par ceux qui assuraient au généralissime certaines prérogatives exceptionnelles, et de pins l’article 66 statuait qu’au moyen de conventions particulières les princes confédérés et les sénats des villes anséatiques étaient libres d’aliéner en faveur du roi de Prusse l’usage de tout ou partie de leurs droits. C’est en effet ce qui est arrivé. Aujourd’hui la plupart des gouvernemens de l’Allemagne du nord sont affranchis de toute responsabilité, à la condition de fournir à la caisse fédérale autant de fois 225 thalers que la Prusse, mise en leur lieu et place, lève d’hommes sur leur territoire. Seuls, le Brunswick et la Saxe royale n’ont pas encore aliéné leurs droits.

 

Pour la Saxe, l’état de choses récemment intronisé a de grandes chances de durée. Le pays s’est associé avec ardeur à la pensée qui a inspiré le gouvernement du roi Jean après le traité du 21 octobre 1866, et, pour conserver l’homogénéité de l’armée saxonne, qui a l’avantagé de représenter une unité complète, c’est-à-dire le 12e corps de l’armée fédérale, on a été au-devant de tous les sacrifices d’hommes et d’argent : les chambres, se faisant l’organe du sentiment général, ont voté le 24 décembre 1866 une loi qui devait donner à la Saxe une organisation militaire tout à fait analogue à celle de la Prusse. Dès l’automne de la même année, le cabinet de Dresde s’était mis en mesure de prouver qu’il serait à la hauteur d’une tâche dont il entendait très noblement ne partager les soins avec personne. Les dépenses d’administration ne sont pas disproportionnées avec l’importance numérique du contingent saxon, et la population du royaume considère que cette charge est préférable au déplaisir de subir plus encore l’ingérence prussienne. Il ne pouvait en être de même dans le Brunswick et dans le Mecklembourg, qui avaient essayé de suivre l’exemple de la Saxe. Les frais généraux d’un contingent distinct devaient y paraître relativement bien plus onéreux, et il était aisé de comprendre que les habitans de ces petits pays ne s’accommoderaient guère de soutenir ainsi de leur argent la persistance de leurs souverains nominaux dans des idées d’autonomie locale qui, réelles et très explicables en Saxe, n’avaient plus aucune raison d’être, après les événemens de 1866, dans des pays aussi peu considérables que le Mecklembourg ou le duché de Brunswick.

 

Tous les gouvernemens ont donc cédé au courant ; ils ont adopté le parti auquel s’étaient résignés tout d’abord les villes anséatiques et le grand-duc d’Oldenbourg. La Prusse a conclu avec la plupart de ses confédérés des conventions dont le texte n’est point identique, mais qui tendent toutes au même but. En vertu des arrangemens qui s’y trouvent stipulés, la Prusse se charge de tout. Les recrues prêtent serment au souverain de leur pays d’origine, et contractent en même temps un engagement d’obéissance envers le généralissime fédéral. Les régimens thuringiens, mecklembourgeois, oldenbourgeois, ont l’équipement et l’uniforme prussiens ; mais les soldats qui en font partie, de même que ceux d’entre eux qui servent dans l’armée prussienne proprement dite (cavalerie ou armes spéciales) portent sur le casque la cocarde de leur pays d’origine et une distinction quelconque. La situation des princes régnans par rapport aux troupes cantonnées sur leurs territoires respectifs est celle de généraux commandans ; mais c’est le roi de Prusse qui possède le droit de grâce, nomme et avance les officiers. Les souverains n’ont que le droit de nommer, mais en les payant, les officiers à la suite. Quant à leurs aides-de-camp et à ceux des princes héritiers, ils reçoivent leurs traitemens sur la caisse fédérale. Telles sont les dispositions générales au moyen desquelles la Prusse a maintenant dans sa main la totalité des forces de la confédération.

 

L’Allemagne du nord s’est trouvée ainsi dotée d’un jour à l’autre d’institutions militaires dont elle n’avait eu jusqu’alors aucune notion et surtout aucune pratique. Dans aucun des états confédérés, le principe du service obligatoire n’était en vigueur avant 1866. Le système du recrutement par le tirage au sort y avait été universellement adopté : les hommes désignés pour entrer dans l’armée pouvaient se faire remplacer partout, sauf en Saxe ; le temps de service était en général de deux, tout au plus de trois années ; enfin, pour ménager les finances et réaliser des économies, il arrivait très souvent que les différens petits contingens atteignaient à peine l’effectif normal exigé par l’ancienne législation militaire fédérale. Aujourd’hui tout cela est complètement changé, puisque chaque Allemand du nord (article 57 de la constitution) est obligé au service militaire (wehrpflichtig).

 

Ce n’est pas seulement sous cette forme que les habitans de l’Allemagne du nord doivent concourir à la puissance militaire de la patrie commune ; des sacrifices pécuniaires considérables s’imposent désormais aux populations germaniques. Le budget des dépenses de la guerre pour le royaume de Saxe s’élevait en 1866 à 2,305,442 thalers ; il est maintenant de 5,274,000 th. Le contingent de la Saxe grand-ducale coûtait autrefois au pays 200,250 thalers ; il absorbe aujourd’hui la somme de 630,450 thalers. Le duché d’Anhalt contribuait aux dépenses militaires pour 162,975 th. ; elles s’y élèvent sous le nouveau régime à 434,250 thalers, et ainsi de suite dans les mêmes proportions pour tous les états qui font partie de la confédération du nord. Cependant les budgets de ces divers pays ne se soldaient pas par des excédans de recettes considérables. Comment ont-ils pu faire face aux dépenses que la constitution et les lois organiques leur imposent ? Évidemment ils devront tôt ou tard recourir à l’établissement de nouveaux impôts. À ce titre, la transformation que subit l’Allemagne a lésé les intérêts de toutes les classes de la société civile sur toute la surface du territoire germanique, car les états du sud ont dû, de leur côté, se résigner à subir des sacrifices considérables.

 

Les conquêtes de l’esprit militaire prussien sur cette société de 40 millions d’âmes s’expliquent sans doute par les passions politiques que le cabinet de Berlin a plus ou moins exploitées ; mais aussi par les précautions qu’il a prises pour faire accepter des peuples annexés ses institutions. Nous avons vu que les corps de l’armée prussienne, excepté celui de la garde, se recrutent exclusivement dans l’intérieur des circonscriptions où ils sont cantonnés. Il en a toujours été ainsi depuis 1807. L’habitant de la Silésie, celui de la Poméranie, celui des bords du Rhin, lorsqu’ils arrivent à l’âge de porter les armes, n’ont pas à s’éloigner beaucoup du centre de leurs affections et de leurs intérêts. Tout en étant sous les drapeaux, ils restent dans leur pays natal, souvent à une bien petite distance de leur foyer ; lorsqu’ils y rentrent pour passer dans la réserve et la landwehr, ils demeurent à proximité des régimens dans les rangs desquels ils sont immatriculés. Ces régimens eux-mêmes changent peu de cadres, et des relations étroites s’établissent, dans la mesure permise par la hiérarchie, entre les soldats et les officiers de tous grades, qui généralement parcourent toute leur carrière active dans le régiment, la brigade, la division, le corps auquel ils appartiennent. Ce qui était vrai de l’armée prussienne avant 1866 ne l’est pas moins de l’armée de la confédération du nord. Sans doute, tous les habitans de l’Allemagne septentrionale et aussi ceux des états du sud doivent subir les conséquences du service militaire obligatoire, sans doute ils doivent supporter des sacrifices d’argent très onéreux ; mais là se bornent les effets du militarisme prussien émergeant sur toute l’Allemagne. Il n’a rien de vexatoire. Si les bourgeois de Brême ou de Hambourg, les montagnards de la Thuringe, les habitans des riantes contrées de Nassau, ont dû accepter la consigne prussienne, porter l’uniforme des soldats du roi Guillaume, prêter serment d’obéissance au généralissime, en somme c’est dans leur pays respectif que les uns et les autres paient leur dette à la patrie commune, et ils n’ont pas à s’éloigner du sol de leur patrie restreinte.

 

Le gouvernement prussien s’est empressé d’appliquer le même système à ses confédérés. Il a laissé tous les avantages d’une individualité distincte au plus modeste contingent du plus faible de ses vassaux. En dehors du droit absolu de direction et de contrôle qu’il a concentré exclusivement entre ses mains, il s’est gardé de poursuivre une uniformité sans profit : il a laissé aux Brêmois, aux Hambourgeois, aux soldats levés sur Je territoire de la principauté de Reuss, ligne aînée ou ligne cadette, le plaisir de conserver sur leurs. casques et sur leurs uniformes, coupés à la prussienne, des marques distinctives de leur pays d’origine ; enfin et surtout il consent à les laisser servir chez eux. Tel est l’esprit qui a présidé aux arrêtés par lesquels le ministre de la guerre a organisé les treize corps de l’armée fédérale, ainsi répartis et composés :

 

Tous les hommes de guerre sont d’accord pour proclamer que la valeur d’une armée dépend surtout de l’esprit qui l’anime. Sous ce rapport, la Prusse peut défier la comparaison avec les autres états de l’Europe. L’armée prussienne est à la fois une démocratie et une oligarchie. Le principe du service militaire obligatoire a son tempérament et son correctif dans l’institution des « volontaires d’un an, » qui a tant contribué à faire accepter l’ensemble du système par les classes les moins disposées en sa faveur. Le germe de cette création date des jours d’enthousiasme de 1813. L’article 7 de la loi du 3 septembre 1814 est ainsi conçu : « Les jeunes gens des classes élevées qui pourraient s’habiller et s’armer à leurs frais recevront la permission de se faire inscrire dans les corps de chasseurs ou de tireurs. Après une année de service, ils pourront, sur leur demande, être congédiés pour vaquer à leurs affaires. Une fois les trois années réglementaires de service actif (ou de réserve) accomplies, ils entreront dans le premier ban de la landwehr, où, dans la mesure de leurs capacités et de leurs aptitudes, les premières places d’officier leur seront réservées.

 

Tandis que certaines parties reconnues défectueuses du système de 1814 ont été atténuées ou sensiblement modifiées, d’autres au contraire, qui primitivement tenaient dans l’ensemble une place peu importante, ont été constamment, de la part de l’administration prussienne, l’objet de soins vigilans et de développemens très heureux. L’institution des volontaires d’un an est de ce nombre. Elle est devenue, grâce à une réglementation habile, une source de véritable puissance pour le gouvernement, qui a pu enrégimenter l’élite de la jeunesse sans la détourner des travaux utiles au développement de la richesse publique. Les rigueurs qu’implique le principe du service obligatoire sont en effet beaucoup plus apparentes que réelles. Tout sujet prussien ayant accompli sa. dix-septième année est admis à s’enrôler dans l’armée, et s’il justifie de certaines connaissances, soit en produisant des certificats de capacité » soit en passant un examen spécial, il peut se faire admettre dans la catégorie des volontaires et obtenir sa libération au bout d’une année, comme s’il avait servi trois ans sous les drapeaux. On s’est inspiré de ce principe, que le jeune homme qui a reçu une éducation littéraire ou scientifique comprend vite et bien tout ce qui constitue la profession des armes. En tenant compte de ces avantages, l’état montre ; qu’il veut non-seulement avoir de bons soldats, mais aussi favoriser l’essor et les progrès de la société civile.

 

Pour devenir volontaire d’un an, on est obligé cependant de faire ses preuves et de les faire sérieusement. Il faut, au plus tôt dans le courant du premier mois de sa dix-huitième année, au plus tard avant le 1er février de l’année dans laquelle on aura accompli sa vingtième année, se déclarer prêt à comparaître devant la commission de recrutement. Sous le rapport des conditions physiques, on est moins rigoureux pour les volontaires d’un an que pour les recrues ordinaires, car il est toujours sous-entendu que les jeunes gens de cette catégorie devront apprendre au régiment, moins les détails matériels du service que les notions et les principes de l’autorité dont ils peuvent être éventuellement investis dans les rangs de la landwehr. Par contre, sous le rapport de l’instruction, on leur demande beaucoup. On ne procède pas pourtant d’une façon très absolue, et le niveau des exigences n’est pas le même pour tous : aux sujets voués à l’agriculture et au commerce, on demande moins de connaissances littéraires ; ceux qui doivent se consacrer aux arts sont examinés avec beaucoup d’indulgence sur les sciences ; il en est de même pour les jeunes gens qui se destinent à servir dans la cavalerie.

 

Les volontaires d’un an peuvent servir comme médecins militaires, comme vétérinaires, enfin comme pharmaciens de l’armée. Cette simple nomenclature prouve que le corps des volontaires d’un an ne se recrute pas seulement parmi les privilégiés de la naissance et de la fortune, mais qu’il est au contraire accessible à toutes les professions. Le nombre des volontaires ne doit pas généralement dépasser quatre par compagnie ou escadron, et les commandans de régimens sont chargés de veiller à l’observation de cette règle. Toutefois il y est fait exception pour les corps de troupes qui sont en garnison dans les villes d’université, où les volontaires d’un an peuvent concilier les devoirs de leur éducation militaire avec la poursuite de leurs études.

 

Il fut décidé à la fin de 1866 que dans les 9e, 10e et 11e corps d’armée, correspondant aux pays annexés, les volontaires d’un an pourraient être reçus jusqu’à nouvel ordre en nombre illimité. Ainsi dans les duchés de l’Elbe, en Hanovre, dans l’ancien électoral de Hesse-Cassel, dans le duché de Nassau, à Francfort, tout individu ayant reçu une certaine éducation peut échanger les charges que fait peser sur lui le principe du service obligatoire contre les avantages que lui assure dans l’avenir le titre de volontaire d’un an. Les sacrifices pécuniaires que la loi lui impose en échange de cet avantage sont insignifians ; on évalue son équipement complet dans l’infanterie de 16 à 22 thalers (de 60 à 82 fr.). Les volontaires d’un an ne reçoivent pas de solde, ils doivent se loger et se nourrir à leurs frais.

 

Le but de l’institution étant de former des officiers et sous-officiers de landwehr très expérimentés, les volontaires d’un an sont placés dans chaque régiment sous la surveillance d’un officier quand ils sont moins de vingt ; lorsqu’ils dépassent ce chiffre, deux officiers sont chargés de les diriger. L’étude du maniement des armes, de la marche, du tir, ne dure pas en général plus de huit semaines. Immédiatement après, les officiers instructeurs entament la partie la plus délicate et la plus élevée d’une éducation au sortir de laquelle un volontaire d’un an doit comprendre la mission toute d’abnégation passive et de dévoûment au roi qui est le propre de l’armée prussienne et de ses chefs. Le volontaire d’un an est pour ainsi dire sacré d’avance officier de la landwehr ; il apprend le style militaire ; il est exercé à faire des rapports, à raisonner sur la responsabilité des officiers, sur les devoirs de la subordination ; on lui enseigne à diriger toutes les petites opérations dont peut être chargé un officier de grade inférieur : reconnaissances, marches, patrouilles, piquets, service des avant-postes ; il reçoit une connaissance théorique de tous les exercices de l’infanterie, de la cavalerie et des armes savantes, et quand il a obtenu, au bout de dix mois d’efforts et d’application, le premier grade de gefreiter, c’est-à-dire de premier soldat, il est admis à passer un examen après lequel il peut recevoir une commission d’officier dans la landwehr. À proprement parler, c’est l’élite de la nation qui est ainsi conviée à venir occuper le rang auquel la naissance, la fortune, l’éducation, peuvent donner droit. L’armée y gagne autant que la société civile.

 

En 1868, il est entré dans l’armée fédérale 4,587 volontaires d’un an, soit 36 pour 100 de plus qu’avant les événemens de 1866 et l’extension de l’hégémonie prussienne. Il en est entré 3,508 dans l’infanterie, 417 dans la cavalerie, 662 dans l’artillerie, le génie et le train des équipages. On comptait parmi eux 2,360 industriels ou artistes, 1,012 cultivateurs, propriétaires ou fermiers, 720 étudians et 222 employés. Si on calcule le nombre d’individus ayant satisfait par cette voie exceptionnelle aux obligations stipulées dans l’article 57 de la constitution fédérale, on trouve que dans son ensemble, c’est-à-dire en y comprenant la réserve et la landwehr, l’armée de l’Allemagne du nord en compte aujourd’hui de 30 à 32,000, dont 43 pour 100 ont obtenu le rang d’officier en quittant les drapeaux. Ces chiffres ont une grande signification et démontrent la facilité avec laquelle la société civile, telle qu’elle est organisée en Prusse, peut s’imprégner des vertus de l’esprit militaire sans rien perdre de sa puissance de travail et d’activité.

 

Qui voudrait nier les heureux effets que produirait l’introduction en France de cette institution des volontaires d’un an ? Serait-elle contraire à nos mœurs ? Ne serait-il pas facile d’y habituer notre société ? En Prusse, elle est le correctif nécessaire du principe absolu du service obligatoire ; en France, elle pourrait facilement devenir le correctif de la faculté de remplacement autorisée par notre législation militaire. En outre, chaque année, l’état est assiégé de demandes d’admission aux emplois publics. Croit-on qu’il ne serait pas mieux secondé dans les différens services administratifs, s’il réservait ses faveurs aux jeunes gens qui justifieraient d’une année passée sous les drapeaux, c’est-à-dire qui fourniraient la preuve irrécusable que, pour entrer plus dignement dans la vie, ils ont commencé par recevoir les sévères leçons de l’obéissance et de la discipline. Les Français ont un chevaleresque sentiment d’honneur qui a résisté à toutes leurs secousses sociales. Croit-on qu’il y aurait à craindre l’abstention des classes les plus aisées et les plus instruites ? Avant peu d’années, les jeunes gens désireux d’occuper un rang dans l’administration ne seraient plus les seuls à s’enrôler comme volontaires d’un an ; à côté d’eux, on verrait accourir un grand nombre de ceux qui se destinent aux professions libérales, et en plus grand nombre encore ces privilégiés de la naissance et de la fortune, qui mettraient leur point d’honneur à payer noblement leur dette à la France.

 

L’armée y gagnerait d’être en contact perpétuel avec la société civile, qui de son côté profiterait de toutes les vertus fortifiantes qu’on apprend à l’école du devoir et du sacrifice. L’autorisation du remplacement serait ainsi amendée dans la pratique au point de ne plus soulever le mécontentent et l’envie dans le cœur des masses populaires, et l’organisation militaire de la France serait mieux adaptée aux besoins de la société moderne.

 

Le sujet prussien qui atteint sa dix-huitième année a deux moyens de satisfaire aux obligations de la loi militaire : il peut devancer l’appel, subir un examen et s’engager à faire partie pendant un an de l’armée active avant l’expiration de sa vingt-troisième année, après quoi il passe quatre ans dans la réserve et trois ans dans la landwehr ; il peut attendre le tirage au sort, et alors, comme le contingent demandé n’absorbe jamais la totalité des hommes valides, il se peut qu’il soit libéré de tout service. Même en dehors de cette situation exceptionnelle, il ne faut pas se hâter de conclure que la charge du service militaire obligatoire pèse également sur tous les hommes de la classe. Si pour une raison quelconque le gouvernement ne veut pas incorporer dans les régimens tous les hommes du contingent, il peut les laisser dans la réserve de recrutement (ersatz-reserve). C’est ici une institution toute particulière à la Prusse. Dans chaque classe, il y’a de 8,000 à 10,000 soldats qui n’appartiennent à l’armée active que de nom, qui restent dans leurs foyers sous le contrôle des officiers de la landwehr, mais qui peuvent y être appelés en vertu d’un ordre du généralissime. Enfin il existe un grand nombre de cas dans lesquels les hommes formant le contingent de l’armée active peuvent obtenir leur libération complète ou partielle.

 

En vertu de l’ordonnance du 9 décembre 1858 (militär-ersatz-instruction) sont admis, sinon à réclamer leur libération provisoire ou définitive comme un droit, du moins à la solliciter comme une faveur à laquelle on leur reconnaît des titres :

Les individus qui sont les seuls soutiens de leurs familles, quand ces familles sont sans ressources et exposées, par le départ de ces individus, à tomber dans le dénûment et la misère.

Le fils unique d’une veuve qui est hors d’état de subvenir à ses besoins, et dont l’existence ne peut être assurée par aucun autre membre de sa famille.

Les propriétaires de biens-fonds qui ne sont pas affermés, et dont l’exploitation ne peut être confiée par eux à d’autres mains. On ne prend pas en considération la valeur plus ou moins grande de ces biens-fonds, mais il est entendu qu’ils doivent être tout au moins assez importans pour assurer l’existence de leurs possesseurs.

 

Les fermiers des domaines royaux ou particuliers qui, par la mort de leurs pères ou de leurs proches, ou par d’autres circonstances, se sont trouvés chargés des obligations du fermage, et qui ne pourraient sans risque confier à d’autres le soin de leur exploitation. La valeur du fermage ne doit pas être prise en considération, toutefois il doit avoir une importance suffisante pour assurer l’existence du fermier.

Les propriétaires des fabriques, manufactures, établissemens industriels qui occupent plusieurs ouvriers, si le temps manquait aux propriétaires, pour assurer en leur absence la bonne gestion de ces entreprises.

Le fils d’un fermier, d’un propriétaire ou d’un fabricant, s’il est l’unique et indispensable soutien de son père, lorsque ce dernier est hors d’état de se procurer un autre aide.

 

S’il est établi que l’individu appelé au service s’est placé par préméditation dans un des cas ainsi spécifiés, aucune faveur ne lui est accordée, le principe étant que nul, avant d’avoir accompli son temps de service dans l’armée active, ne doit contracter d’obligations de nature à l’entraver dans ses devoirs militaires. Ainsi le mariage ne peut jamais être invoqué comme un motif d’exemption. Des congés renouvelables (ce que l’ordonnance de 1858 appelle zurückstellung, position réservée) peuvent être également accordés aux individus qui sont en mesure de prouver qu’ils apprennent un métier, et que leurs études d’apprentissage ne pourraient être interrompues sans de graves inconvéniens. Les mêmes facilités sont accordées : aux élèves de l’école des arts et métiers de Berlin, aux élèves de l’établissement d’instruction chirurgico-médicale, aux élèves de l’école de médecine vétérinaire. — Les candidats aux places d’instituteurs primaires et les professeurs élémentaires qui ont été élevés dans les séminaires ou écoles normales sont libérés du service militaire dans l’armée active après six semaines d’exercice dans un régiment d’infanterie ; ils passent de là dans la réserve d’abord, dans la landwehr ensuite, où ils sont légalement passibles des mêmes obligations que les autres sujets prussiens. Cependant, si les individus de cette catégorie quittent leur emploi avant d’avoir atteint leur trente-deuxième année, ils peuvent être requis d’accomplir le temps réglementaire de service dans l’armée active. — Les élèves de l’école israélite de Munster qui justifient des connaissances exigées des instituteurs primaires jouissent des mêmes avantages. — Les jeunes ouvriers armuriers qui s’engagent à travailler pendant neuf ans dans les fabriques d’armes peuvent également obtenir un congé renouvelable au bout de six semaines d’exercice dans une batterie de campagne ou dans une forteresse. — Les infirmiers ne servent dans l’armée active qu’une année, mais ils restent soumis aux obligations ordinaires pour la réserve et la landwehr. En outre ils sont à chaque moment susceptibles d’être appelés dans les lazarets de l’armée en campagne ou des troupes en garnison. — Les militaires formés comme soldats du train peuvent être congédiés après un séjour de six mois dans un régiment de cavalerie ou d’infanterie, mais ils restent jusqu’à trente-huit ans susceptibles d’être rappelés pour le service du train des équipages. — On procède de même avec tous les hommes qui présentent quelques aptitudes particulières ; ils servent peu de temps dans les rangs ; on leur accorde des faveurs, des facilités, en retour desquelles ils doivent s’engager à laisser l’état bénéficier éventuellement de leurs connaissances spéciales : ainsi les jeunes médecins, les élèves des écoles de pharmacie, les médecins vétérinaires, les maréchaux-ferrans, obtiennent rapidement leur libération du service réel et effectif dans l’armée active ; seulement ils contractent l’obligation de se tenir, en ces diverses qualités, à la disposition de l’autorité militaire supérieure. En un mot, l’économie de ces diverses dispositions repose sur une pensée de respect scrupuleux pour l’intérêt collectif de l’état. Les congés renouvelables, les libérations anticipées, ne sont accordés qu’autant que l’exige l’intérêt de l’agriculture, de la fortune publique, de la science, de l’instruction publique, toutes choses qui touchent à l’intérêt général ; mais dans cette mesure les faveurs sont largement dispensées.

 

La difficulté était de concilier les complications résultant de ces exemptions avec les exigences du service dans un pays aussi centralisé que la Prusse. Heureusement la landwehr permet d’utiliser chacun des élémens dont l’ensemble doit constituer la force du pays. Cette institution n’est pas seulement une immense réserve d’anciens soldats et un vaste dépôt, elle est aussi un moyen de contrôle, de recrutement, et c’est par elle que l’état procède avec une sûreté infaillible au triage des hommes qu’il juge utile de ne pas appeler dans l’armée active. Chaque bataillon de la landwehr correspond à une circonscription fixe, dans laquelle tout Prussien est immatriculé pour le tirage au sort. Les commandans de ces bataillons sont, en vertu de la loi, investis comme les sous-préfets (landräthe) du droit de figurer dans les conseils de révision. L’autorité civile, et l’autorité militaire se prêtent ainsi un mutuel concours, pour veiller dans chaque localité aux intérêts de l’armée et pour ménager les intérêts de la société civile. Pendant le temps qui s’écoule entre le tirage au sort et l’envoi sous les drapeaux, les recrues sont placées sous les ordres des officiers de la landwehr ; il en est de même poulies hommes qui jouissent de congés illimités. C’est donc la landwehr qui prépare pour ainsi dire à l’armée active son contingent annuel, en attendant qu’elle ouvre plus tard ses rangs aux hommes qui sortent de la réserve ; c’est sous le contrôle des officiers de la landwehr que sont placés les hommes de la réserve de recrutement qui font partie du contingent annuel, mais qui ne sont pas appelés sous les drapeaux par mesure d’économie.

 

Plus on étudie le puissant mécanisme de cette organisation, moins on demeure surpris que la société prussienne ait révélé pendant la dernière guerre la puissance, la fécondité de ressources morales qui ont été entre les mains de la couronne et de ses conseillers de si efficaces instrumens de victoire. À ce point de vue, nous devons mentionner le concours prêté au gouvernement, en 1866, par les hospitaliers volontaires. Ici en effet, on n’est plus seulement en présence d’une pensée touchante de dévoûment individuel : on distingue clairement, dans la manière dont les devoirs de la charité ont été compris et pratiqués, les inspirations d’une ardente solidarité entre les membres les plus marquans de toutes les classes de la société prussienne et les hommes qui ont, les uns conçu la pensée de la guerre en 1866, les autres guidé l’armée dans les combats. À ce titre, les johanniter ou chevaliers de Saint-Jean méritent une mention spéciale. L’ordre de Saint-Jean, formé au moyen âge après les croisades, avait été sécularisé en 1810. Depuis cette époque, il n’était plus qu’une corporation nobiliaire plus ou moins privilégiée, lorsque le roi Frédéric-Guillaume IV, sous la préoccupation de ses goûts archéologiques, résolut de rappeler les chevaliers de Saint-Jean à leur mission primitive, de les encourager à soulager les misères humaines, et particulièrement à venir en aide aux victimes de la guerre.

 


19/09/2017
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