GUERRE FRANCO-ALLEMANDE DE 1870-1871

GUERRE FRANCO-ALLEMANDE DE 1870-1871

ARMÉE PRUSSIENNE 3e PARTIE


ARMÉE PRUSSIENNE 3e PARTIE

L’idée qui semblait, en 1853, entachée de romantisme a tout à coup acquis une valeur pratique, grâce aux événemens de 1864 et de 1866, grâce aussi aux fortes passions politiques qui animent la haute société prussienne. Les chevaliers de Saint-Jean se sont distingués pendant la guerre du Slesvig par leur activité et leur dévoûment. Plusieurs hôpitaux ont été organisés par eux, à leurs frais, dans les duchés, sous la direction du comte Eberhard de Stolberg, président de la chambre des seigneurs. Le prince Charles de Prusse, frère du roi Guillaume, grand-maître de l’ordre de Saint-Jean, a fait, dès le 15 mai 1866, appel au dévoûment et à la générosité des chevaliers rangés sous la bannière de Brandebourg. Beaucoup d’entre eux se sont mis aussitôt à la disposition du gouvernement, les uns pour organiser dans leurs châteaux et à leurs frais des services d’ambulance, les autres pour solliciter l’autorisation de suivre les troupes et de seconder les chefs des services médicaux de l’armée. Dès le début de la campagne, plus de 500 lits avaient été préparés dans les établissemens que l’ordre possède sur divers points du territoire prussien. On a eu en outre à enregistrer un grand nombre d’actes de munificence individuelle de la part des johanniter. Le prince Frédéric des Pays-Bas, qui est commandeur de l’ordre, avait établi une ambulance de 70 lits dans son château de Muskau, en Silésie. Le comte Eberhard de Stolberg avait fait installer dans ses propriétés de Kreppelhof et de Lapersdorf des maisons où l’on put recevoir plus de 300 blessés. À Wernigerode, un autre comte Stolberg en reçut chez lui plus de 40. On pourrait multiplier ces exemples. Beaucoup d’autres personnages haut placés dans la société prussienne s’étaient disputé l’honneur de recueillir chez eux les victimes de la guerre. Enfin plus de 200 chevaliers se rendirent à l’armée pour prodiguer leurs soins aux blessés sous le feu de l’ennemi et dans les hôpitaux. Après la bataille de Kœnigsgrætz, il n’y avait pas en Bohême une localité un peu importante où l’on n’eût été obligé d’établir soit un lazaret volant, soit un dépôt. Tous ces établissemens, à la surveillance desquels l’administration militaire n’aurait jamais pu suffire, étaient placés sous la direction des chevaliers de Saint-Jean. C’est à eux que revenait également le soin d’assurer la répartition équitable des dons de toute nature que la charité privée faisait affluer sur le théâtre des hostilités. Les johanniter étaient encore chargés d’utiliser le concours des personnes de tout sexe qu’attirait en Bohême le désir de soulager les maux de la guerre, de mettre en pratique les pieuses vertus dont le libre exercice est désormais assuré par les stipulations de la convention de Genève. Par leur situation sociale, les chevaliers de Saint-Jean marchaient partout de pair avec les chefs les plus considérables de l’armée ; l’accord le plus absolu régnait entre eux et les commandans d’étapes : loin d’être une complication pour des services qu’il est toujours si difficile d’assurer dans le trouble inséparable de la guerre, leur présence simplifiait beaucoup de choses, et justifiait la confiance qu’on leur avait témoignée en acceptant leurs services à l’armée.

 

Si les détails qui précèdent ont bien, fait saisir la nature des élémens dont se composent les forces de l’Allemagne du nord, on doit être frappé de L’étroite corrélation qui existe chez nos voisins entre l’armée et la société civile, comme de l’harmonie avec laquelle toutes les parties actives de la population concourent à la grandeur militaire. L’état d’un peuple si bien disposé pour entrer en lutte est fait pour inquiéter les nations voisines. À la suite des événemens de 1866, celles-ci ont à leur tour porté une sérieuse attention sur leur armée. De là„ une charge qu’elles supportent, mais qui pèse lourdement sur la nation allemande. Des publicistes éminens s’en sont émus, ils ont voulu provoquer un désarmement général en agissant sur l’opinion publique en France et en Prusse. Par malheur, on ne s’est pas bien rendu compte des obstacles que L’exécution rencontrerait dans les institutions de la Prusse moderne.

 

Quand on met en présence les deux grands pays que sépare le Rhin, ce ne sont pas seulement leurs budgets qu’il faut comparer, c’est tout l’ensemble des lois qui ont organisé leur puissance. Le budget de la guerre prussien n’est que de 247,500,000 francs, celui de la France est de 384,500,000 francs ; mais le premier ne comprend dans ses prévisions que les dépenses absolument nécessaires pour l’entretien d’une armée irréductible, dans laquelle d’ailleurs il est aisé de fondre des forces doubles en nombre et égales en valeur sans affaiblir en rien la solidité des cadres, tandis que le budget français calcule toutes les prévisions de dépenses pour l’entretien d’une grande armée permanente.

 

Dans l’Allemagne du nord, il suffît d’un ordre du généralissime, qui peut être tenu secret, pour mobiliser les quatre contingens de la réserve, c’est-à-dire pour mettre sur pied 240,000 hommes, à raison de 80,000 par contingent. — En France, si l’empereur veut appeler la réserve sous les drapeaux, il peut le faire sans doute par un simple décret, mais ce décret doit recevoir une véritable publicité ; en outre le nouvel ordre de choses établi par le sénatus-consulte du 8 septembre dernier ne permettrait pas au pouvoir exécutif de prendre une décision aussi grave sans consulter les chambres. Tandis que le gouvernement français devrait aussi faire précéder tout déploiement de forces militaires d’un appel aux ressources financières du pays sous la forme d’un emprunt, le cabinet prussien trouverait du jour au lendemain dans les caves du château de Berlin un trésor de plus de 30 millions de thalers, 112 millions de francs, dont lui seul a la gestion en dehors de tout contrôle parlementaire. — En Prusse, le total des hommes valides propres au service, atteignant leur vingtième année, est de 125,000. Sur ce nombre, le roi décide, en vertu de l’article 9 de la loi du 9 novembre 1867, quel sera le chiffre du contingent de l’année ; c’est en moyenne 100,000 hommes. Ainsi qu’on l’a vu, tous ces hommes ne sont pas appelés dans le service actif par raison d’économie. Aujourd’hui 8,000 ou 10,000 recrues restent dans leurs foyers sous le nom de réserve de recrutement ; mais ils sont toujours à la disposition de l’autorité militaire, et ce chiffre pourrait être augmenté sans inconvénient très sensible pour la solidité de l’armée sur le pied de paix et sans diminuer en rien le chiffre de l’armée sur le pied de guerre. En vertu d’un ordre du généralissime, toute cette catégorie d’hommes qui ne sont libérés en quelque sorte que par tolérance, peut être rappelée sous les drapeaux. La législation française ne laisse pas au pouvoir exécutif une pareille latitude. Que sous le coup de nécessités imprévues, la Prusse croie devoir diminuer l’effectif de son armée sur le pied de paix, elle peut le faire sans altérer son effectif de guerre. En France, si les chambres se décident à diminuer de 20,000 hommes le contingent, cela équivaut après neuf ans à une diminution de 160,000 hommes sur le chiffre des troupes prêtes à entrer en campagne.

 

Ce qu’il importe surtout de ne pas perdre de vue dans le rapprochement établi entre nos institutions et celles de l’Allemagne du nord, c’est qu’en vertu de la constitution de ce dernier pays les dépenses militaires ne figurent que pour ordre au budget. Le montant en est invariablement fixé pour les cinq années qui n’expirent que le 31 décembre 1871, et, si le roi de Prusse croyait devoir faire des économies sur le chiffre des hommes incorporés, il pourrait les appliquer aux autres branches des services militaires. Quand cette échéance arrivera, le gouvernement obtiendra-t-il la prolongation des pouvoirs et des crédits qui lui ont été accordés si libéralement au lendemain de Kœnigsgrætz. C’est alors que se posera la question du désarmement. D’ici là, c’est à l’opinion publique allemande de réagir contre des tendances dont elle voit clairement le péril, et qui sont la cause du malaise de la situation. L’Allemagne peut juger ce que lui a coûté une politique qui échappe à son contrôle. Elle aura à décider si, pour compléter son organisation nationale, elle veut à tout jamais abandonner ses destinées entre les mains d’une chancellerie souveraine et irresponsable.

 

  1. DE ROUGEMONT.

Cette organisation militaire territoriale a surtout une grande importance, si on la considère au point de vue international. À plusieurs reprises, depuis deux ans, quelques journaux prussiens ont mis une singulière persistance à présenter les armemens de la France sous les couleurs les plus inquiétantes pour l’opinion publique. Dans le cours de l’été de 1867, nous aurions eu, disaient-ils, 60 à 70,000 hommes concentrés dans nos provinces du nord et de d’est. Cependant, des treize corps d’armées qui composent l’armée fédérale, il y en a trois qui se trouvent distribués dans les provinces occidentales de la monarchie. Le 7e corps (Westphalie) occupe la rive droite du Rhin (Dusseldorf, Deutz), et remonte jusqu’à Wesel ; le 8° corps (province rhénane) se développe sur la rive gauche du fleuve, de Cologne à Trêves et à Saarbrück ; dans sa circonscription, on trouve la garnison de Mayence, qui se compose de 4 régimens d’infanterie et des armes spéciales. Le 11e corps enfin (Hesse, Nassau) occupe tout l’ancien électorat de Hesse, les villes de Hanau et de Fulda, Wiesbaden et Francfort. Chacun de ces corps, sur le pied de paix, compte environ 23,000 hommes. C’est donc, en y comprenant les régimens d’infanterie casernés à Mayence, une masse de 75,000 hommes qui est échelonnée en deux lignes profondes le long de nos frontières entre Thionville et Forbach. Cette masse, mise sur le pied de guerre, pourrait atteindre rapidement le chiffre de 120,000 hommes. On voit que l’argumentation favorite des alarmistes de l’autre côté du Rhin pourrait provoquer plus d’inquiétudes en France qu’en Allemagne, surtout si l’on songe que l’organisation de chaque corps d’armée est combinée de telle façon qu’il lui suffît d’un délai de quelques jours pour atteindre son effectif de guerre.

 


19/09/2017
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